Centre de la Francophonie des Amériques : retour sur le Forum de Juillet 2016

Article : Centre de la Francophonie des Amériques : retour sur le Forum de Juillet 2016
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7 août 2016

Centre de la Francophonie des Amériques : retour sur le Forum de Juillet 2016

Retour sur le 5e Forum des jeunes ambassadeurs du Centre de la Francophonie des Amériques

« Du 4 au 11 juillet 2016, une soixantaine de jeunes et brillants leaders francophones provenant des quatre coins des Amériques, sélectionnés parmi 550 candidats âgés de 18 à 35 ans, étaient réunis pour participer à cette rencontre internationale dite « Forum des jeunes ambassadeurs de la francophonie des Amériques ». Ce rendez-vous était pris afin de discuter, d’échanger et de débattre des enjeux liés à la francophonie. L’université de Montréal était le lieu qui accueillit cette 5ème édition du forum. J’ai choisi de questionner un de ces jeunes en lieu et place d’un autre pour sa double culture. Haïtien évoluant en République Dominicaine, un pays où l’on parle exclusivement l’espagnol, j’ai trouvé extrêmement intéressante sa participation au forum en tant que jeune francophone. »

Beau parloir: Qu’est-ce que cela veut dire pour vous de participer au Forum des jeunes ambassadeurs de la Francophonie 2016 ?

Serge J. Fécu: Participer à cet événement est un message envoyé à la communauté haïtienne de la République Dominicaine, à nos confrères étudiants en guise de stimulation, pour leur dire que je sais ce que ça fait d’être francophone faisant des études en espagnol avec des interactions en créole. C’est aussi embrasser la cause de la francophonie en général en Haïti. Ma participation envoie un signal, un début de revalorisation de la langue française dans le milieu. Et je suis conscient de la responsabilité envers ces deux sociétés, ces deux cultures aussi attrayantes que différentes. C’est à la fois beau et complexe. C’est une vraie opportunité de se rendre utile

Beau parloir: comment tenir la flamme francophone quand on vit dans un pays hispanique?

Serge J. Fécu: C’est une très belle question Meem! Mon engagement envers la francophonie provient de ce questionnement même, qui est le lot d’ailleurs de milliers de personnes qui vivent hors de chez elles, de leur culture, de leur langue. Pour nous, en terre voisine, faisant nos études en espagnol pendant qu’on parle créole entre nous, cela ne facilite pas une bonne maîtrise ni de l’Espagnol en tant que langue étrangère, ni du français qui est notre langue officielle, notre langue de travail par-dessus tout. L’inquiétude planait de mon côté, conscient à un certain moment que j’étais en nette régression, difficile de penser en français, problème d’orthographe etc. Et je devais renouer avec mes vieilles habitudes de lecture en français. Cette situation est très répandue chez nos étudiants et professionnels ici en République Dominicaine. Je crois que par-delà tout, on mérite de garder nos liens et valeurs francophones. La sauvegarde du français est impérative. Que ce soit  pour passer une entrevue de travail de retour en Haïti après nos études, ou que ce soit pour prendre part à la vie politique etc. On a mille raisons de ne pas perdre nos liens si on veut retourner chez nous!

 Beau parloir: Participer à ce forum du Centre de la Francophonie des Amériques, était-ce une procédure facile?

Serge J. Fécu: Ça n’a pas vraiment été facile, j’imagine le combat du jury pour pouvoir départager 55 candidats de 554 candidatures reçues en provenance de toute l’Amérique ! Il y avait une forte compétition, couronnant ton engagement dans ta communauté, ton niveau d’étude (compétence) et en dernier lieu ta capacité linguistique (en français). On a donné l’opportunité aux pays où le français est en émergence de participer aussi, c’est la raison pour laquelle j’ai mentionné la capacité linguistique en dernier lieu. Et je crois que c’est bien de la part du Centre de la Francophonie des Amériques d’encourager les endroits où le français est moins parlé. Haïti a quand-même eu une plus forte participation avec deux participantes vivant au Québec, un participant vivant en Dominicanie et cinq autres vivant au pays.

Serge J. Fécu, jeune ambassadeur de la Francophonie des Amériques devant l'Université de Montréal
Serge J. Fécu, jeune ambassadeur de la Francophonie des Amériques à l’Université de Montréal


Beau parloir: Représentez -vous  Haïti de votre plein gré, ou aviez-vous la possibilité de vous présenter pour la République Dominicaine?

Serge J. Fécu: Je dirais d’abord que je représente la communauté haïtienne en République Dominicaine, pour dire au monde qu’on est là ; par ailleurs je représente mon pays Haïti de plein gré. Mais la politique du CFA fait que chaque participant représente son pays de résidence. Du coup on a vu une française représenter le Canada, une autre Costa Rica, des amis tunisiens ont représenté le Canada aussi parce qu’ils y vivent. Et moi j’ai été parmi les trois participants venant de la République Dominicaine, je suis donc leur représentant. Mais au fond de moi et tout au long des activités, je représentais mon pays, je vendais son image. Je prônais plutôt de meilleures relations entre les deux pays que je partage et que j’aime bien.

Beau parloir: Au forum, il y a une panoplie de personnalités. Quelles matières avez-vous tiré de ces échanges?

Serge J. Fécu: Pour moi, l’une des plus grandes vertus c’est l’humilité, et j’ai vu des personnalités éminentes qui restent tellement en-dessous de leur savoir-faire ou expertise. C’est très inspirant! Je ne sais pas si l’humilité a un aspect culturel ou si c’est juste une étape de maturité ou un dépassement de soi ; en tout cas nous en avons grandement besoin en Haïti pour mieux avancer. Parce que les gens veulent tellement se sentir dignes, ça leur enlève toute faculté de valoriser l’autre, ils aiment se sentir grands et adulés, ils n’aiment pas voir l’autre avancer pour ne pas les approcher dans leur règne. Il y a toute une gamme de changement que l’humilité peut apporter en nous laissant nous inspirer de modèles comme les personnalités qui ont coloré ce forum. J’ai aussi appris à donner plus de place à la diversité qui est un pas vers la tolérance, l’amour. La diversité est une richesse, un horizon plus large dans laquelle voyagent tes pensées, et à travers cela, on voit définitivement plus grand.

Beau parloir: As-tu une mission qui te vient de cette belle participation? Une mission pour ton pays?

Serge J. Fécu: Ma mission avait commencé bien avant le forum, bien avant ce titre honorifique de jeune ambassadeur de la Francophonie des Amériques. Ma mission est d’aider à la construction d’un bilinguisme efficient en Haïti et d’aider à tisser des liens avec les valeurs francophones au sein de notre communauté en République Dominicaine. Certes, nous n’avons pas de budget alloué pour passer du rôle de stimulateur à celui de l’action concrète, telle que donner des cours de français gratuits aux enfants haïtiens nés en République Dominicains (qui sont en situation irrégulière pour la plupart malgré leur naissance au pays) qui ont besoin du français car ils sont susceptibles d’aller vivre en Haïti n’importe quand. Qu’ils puissent se faire une place dans leur pays d’origine. Nous pourrions aussi ouvrir ces cours aux amis dominicains qui s’y intéressent. Car je le dis toujours, nous représentons un atout réel pour une émergence de la Francophonie en République Dominicaine, rien qu’en facilitant l’intégration et les interactions de bons voisins.

Beau parloir: En tant que jeune ambassadeur francophone, avez-vous apporté quelque chose comme un projet à ce forum?

Serge J. Fécu: Le projet, j’en ai parlé au directeur du Centre de Francophonie des Amériques bien avant le forum. Je lui ai parlé de notre volonté de donner suite à nos ateliers en français qui ont eu lieu tous les samedis dans des salles de classe vides de l’université catholique de Saint-Domingue et qui ont été constants. J’ai obtenu une réponse positive sur un lieu possible pour nous réunir et pour continuer, et, vu la quantité de candidats qui n’ont pas pu prendre part à cette 5ème édition du forum, nous avons aussi convenu d’organiser un forum pour la Caraïbe. Cette première édition pour la Caraïbe va bientôt se faire en Haïti !

Beau parloir: Pour quelles raisons faut-il inciter d’autres jeunes haïtiens à intégrer le centre Francophonie des Amériques selon toi?

Serge J. Fécu: C’est vraiment le but du CFA, encadrer autant de gens intéressés à faire rayonner la Francophonie dans leur milieu. C’est la raison pour laquelle les jeunes ambassadeurs ont été très présents sur les réseaux sociaux, pour inciter les jeunes à suivre leurs pas. Nos prochains ambassadeurs sont parmi ces jeunes qui nous ont suivis. Ils peuvent dorénavant visiter ce lien, https://www.francophoniedesameriques.com/forum/forum-des-jeunes-ambassadeurs-de-la-francophonie-des-ameriques/. Il y a pas mal d’opportunités, des bourses, des forums à l’extérieur etc. Activons-nous, soyons les défenseurs de notre deuxième langue, notre héritage, mais attention, pas au détriment de notre créole!

Beau parloir: Quel est votre regard sur l’évolution du français en Haïti et en République dominicaine ?

Serge J. Fécu: Bon, je vais devoir faire un parallèle du fait français dans les deux sociétés, Haïti mon pays et la République Dominicaine là où je vis. Je dois dire que le fait français n’a pas la même résonance dans les deux pays. En Haïti nous avons le français comme langue officielle, langue dans laquelle nous faisons nos études et intégrons le marché du travail. Qu’on le veuille ou non, c’est une priorité. Notre passé, notre présent (et peut-être le futur) est imprégné de redevance ou/et  de responsabilité envers cette langue, sinon il nous faudra changer tout un système. Mais malheureusement, l’usage de la langue est surtout maintenu dans la haute société, par conséquent, le français – qui devrait d’être d’utilité uniquement – devient un moyen de se caractériser en aristocrate. Du coup, tout le monde en a peur, on ne va pas se brûler! De l’autre côté de l’île, c’est une catastrophe (dans notre communauté). Un mélange de créole, d’espagnol et de français, ça brouille! Souvent nos étudiants vont jusqu’à créer des néologismes espagnols sans s’en rendre compte, par exemple « avoir une « exposition » (exposición) au lieu d’exposé. On va utiliser beaucoup de mots espagnols qui ne sont en aucun cas du français. Il y a deux catégories de dominicains qui s’intéressent à la francophonie : la francophonie comme volonté de s’identifier au fait francophone, au pluralisme culturel le caractérisant, pour s’engager à son rayonnement ; et la francophonie en tant qu’apprentissage du français, pour le tourisme, par fonctionnalité. En somme, dans les deux cas, c’est intéressant de constater un fort engouement! La volonté existe, il nous faut seulement stimuler les gens qui s’y intéressent comme on le fait sciemment au CFA. Plus de peur que de mal!

Beau parloir: Quels bénéfices pensez-vous tirer de ce FJAF2016 ?

Serge J. Fécu: Ce serait intéressant pour n’importe quel jeune étudiant, surtout pour moi en diplomatie, de commencer à créer des liens, de bâtir son réseau sur le plan international. Il n’y a pas plus que les relations humaines dans ma carrière : la concertation, la recherche de consensus, la volonté de faire ensemble.

Outre la formation sur le leadership, il me restera à jamais l’amitié de ces brillants jeunes leaders venant de toute part. C’est extraordinaire qu’on puisse avoir cette belle langue comme dénominateur commun et que l’on ait tous cette identité francophone en accord avec notre diversité culturelle!

Serge J. Fécu et d'autres jeunes francophones lors du forum
Serge J. Fécu et d’autres jeunes francophones lors du forum

Beau parloir: le débat français et créole, français ou créole comme langue en Haïti renvoie à un butin de guerre, quelle est l’importance du français en Haïti d’après vous ?

Serge J. Fécu: C’est la question que j’aime le plus franchement. J’avoue que j’ai souvent eu des débâcles dans beaucoup de mes interactions sur la toile en référence à ce sujet. Je suis un farouche défenseur du pluralisme linguistique comme nous le connaissons en Haïti ; a seule chose à agencer c’est de se mettre vraiment à l’apprentissage de ces langues pour une bonne maîtrise. L’une des valeurs que j’aime le plus, c’est l’authenticité, lorsque nous sommes vrais dans notre façon de traiter ces deux belles langues et que nous arrivons à les rendre utiles, c’est beau. Je n’arrive pas à comprendre comment parler une langue de plus pourrait constituer un handicap plutôt qu’une chance de réussir dans la vie dans ce monde globalisé! On argumente souvent qu’Haïti serait mieux en faisant fi du français, mais moi je dis, sans fausse modestie, qu’il faut accentuer le développement du créole. Parce-que le créole peut aussi devenir un moyen pour que les autres s’intéressent à nous, il faut donc avoir une académie de créole authentique, travailler d’arrache-pied pour créer plus de mots qui puissent remplacer des phrases longues, de mots qui suffisent à ne pas prêter d’autres mots français pour une conversation créole (d’où le créole francisé).

En parallèle, il faut consentir autant d’effort pour une bonne maîtrise du français, et de l’anglais si on veut bien. Car le seul problème, c’est la médiocrité. Car ce qui fait mal, c’est que la majorité de la population n’arrive pas à trouver un sentiment d’appartenance au français car elle ne le parle pas couramment! On se plaint que seulement 20% des haïtiens parlent le français, et on dit que le français n’a pas sa raison d’être. Mais c’est faux, ce n’est pas la faute de la langue si nous avons autant de piètres instituteurs et autant d’élèves qui n’apprennent point. Peut-être faut-il garder seulement 20% de nos institutions, puis remonter nos efforts à 80%. Car l’effort est de mise pour une bonne maîtrise de quel que soit la langue. Donc, pour moi, il n’y a pas à sortir de là : le français nous rend plus fort sur le plan international! La diplomatie de la francophonie joue en notre faveur. Nous avons eu notre mot à dire vis à vis du vote de la langue française à l’ONU, sans quoi le français ne serait peut-être pas devenu une des langues officielles de cet organisme multinational à ce moment précis de l’Histoire. Nous avons été l’un des rares pays, avec le Canada, à être des États souverains à l’OEA, de même pour la CARICOM. Le français n’a fait que nous renforcer. La visibilité est un fait essentiel dans la diplomatie!

Allons, maîtrisons autant de langues! Développons notre créole! Ayons une bonne maîtrise du français en renforçant nos liens francophones car nous ne sommes pas seuls dans ce monde!

Beau parloir: Votre degré de satisfaction sur une échelle de 1 à 10?

Serge J. Fécu: À cette question, je réponds que c’était la semaine la plus riche en diversité de toute ma vie. J’étais entouré d’une soixantaine de personnes exceptionnelles venant de plus de 20 pays d’Amérique et d’ailleurs, donc un « 10 » ça fera l’affaire!

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Commentaires

Traore Amos Joel Yohane
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Bravo billet très enrichissant